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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Examen

Je me souviens comme d’hier de mon examen d’histoires drôles. Il y avait là Prof, Timide et Grincheux, universellement respectés sur toutes les scènes du music-hall, et leur imprésario, Galère, qui se tenait en retrait.

« C’est à vous ! commença Prof, et surtout faites-nous rire ! » Dit comme ça, cela paraissait simple, j’avais à ma disposition un large répertoire de blagues et de galéjades, et pour le final une palette de redoutables zwanzés, que j’avais rapportés de Bruxelles. La partie s’annonçait gagnée.

S’agissant d’un travail de laboratoire, nous avions mis nos blouses : grises pour les étudiants, blanches pour nos professeurs. Cette distinction évitait les confusions.

À ma première blague, Prof m’interrompit : « l’humour, ce n’est pas cela. Vous omettez l’esprit de sérieux. » Je recommençai doucement. « C’est l’histoire de deux grains de sable qui décident d’aller à la mer… » « Oui, on sait, coupa Grincheux, et la plage est bourrée ! Vous croyez vraiment que vous allez nous avoir avec ce genre éculé, prenez de la hauteur mon petit vieux. »

Ce début un peu raté fut le coup de fouet qui me mit en verve. Je me lançai d’abord dans le très classique « cent ans de mur ou la vie d’une brique », je poursuivis par la désopilante « légende d’une charrue », qu’ils semblèrent découvrir, et puis, lancé, je les étourdis par l’inénarrable « conte à deux pieds » qui avait décidé de ma vocation quelques années auparavant.

C’était mon coup d’éclat, auquel j’avais rajouté pour la chute quelques saillies drolatiques.

La photographie est prise juste à ce moment-là.

Pour le néophyte, ces grands professionnels du rire paraissent ne rien montrer, mais pour le petit monde de blagueurs dont je faisais maintenant partie, l’affaire était gagnée.

Timide, Grincheux et Galère n’en pouvaient plus. Ils se tenaient littéralement les côtes pour ne pas exploser ! Seul Prof crut pouvoir résister en se pinçant fortement l’avant-bras.

Dans la seconde qui suivit, ce fut une déflagration de rires tonitruants, de tapes sur les cuisses et de larmes dans les yeux.

J’ai vraiment regretté que le photographe ne soit plus là.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Examen
[Rabat, 2017]

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