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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Les débuts de Superman

Superman encore jeune s’était déguisé en soldat.

À peine sorti de l’enfance, il ne se connaissait pas. Conscient, bien sûr, d’une certaine différence dans sa musculation, il envisageait à cette époque de faire carrière dans le bâtiment. Soulever des briques lui paraissait à sa portée, il percevait ce métier comme la poursuite de ses jeux de construction.

Un de ses amis lui conseilla pourtant d’essayer le métier de soldat : « Tu verras, la plupart du temps ils nous laissent en paix, et on peut même parfois jouer avec les trains. » Cette description approximative et sans doute un peu fausse l’enthousiasma : « Jouer aux trains, tu es sûr ? » dit-il avec ce ton guilleret qui est la marque des grands hommes.

Il décida de faire un essai en se procurant des vêtements chez le boutiquier du coin. Le vendeur le complimenta sur son port de l’uniforme : « Vous portez beau, jeune homme ! » Superman, toujours gamin, trouva qu’il manquait quelque chose : « Vous n’avez pas un truc plus serré, plus en couleur, avec une culotte pour l’entrejambe et peut-être aussi une cape ? » Le vendeur médusé ne sut que répondre et Superman partit avec sa tenue bleu horizon qui lui rappelait son attrait pour le ciel.

Nos forces à l’époque étaient en manque de bras, et le commandant examinant Superman se dit que les siens pouvait sans doute servir l’armée. Nul besoin d’insister sur le fait qu’en ce temps Superman était bien français, il s’exprimait d’ailleurs uniquement dans notre langue comme on l’a bien remarqué. Le commandant lui proposa une mission à sa mesure : « Rassemblez-moi ces trains, nous partons en campagne. »

Superman était tout excité, et dans un enthousiasme juvénile, il fit exactement ce qu’on lui avait demandé. Il mit les trains en tas et tenta ensuite de les mettre dans les trous qui clairement leur étaient destinés. Le problème c’est que ça ne rentrait pas. Un peu déçu de son échec, et peut-être ayant déjà l’idée d’une faute, il s’éclipsa sur la pointe des pieds.

Le commandant horrifié en découvrant la pagaille lui assena ces mots très durs : « Vous n’êtes bon à rien, notre pays n’a que faire d’individus comme vous ! » La messe était dite.

Superman, agacé et honteux, prit sa résolution. Les larmes aux yeux, tremblant mais ferme, il répliqua : « Puisque c’est comme ça, je quitte la France, le beau pays de mon enfance, et j’irai aux Amériques chercher du boulot ! »

L’histoire est ainsi faite que nous n’avons pas su retenir, comme tant d’autres, ce jeune Français plein d’avenir. C’est dommage, je suis sûr qu’il aurait pu réussir chez nous et trouver un métier. Il fit ensuite la petite carrière que l’on connaît chez nos amis d’outre-Atlantique.

Il repasse parfois dans nos campagnes, la cape au vent, en vol supersonique. J’ose espérer qu’il a l’œil attendri, entre deux éclats de sa vision laser.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Les débuts de Superman
[Rabat, 2017]

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