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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Une rencontre improbable

Clemenceau rencontra un jour la fée Clochette, que croyez-vous qu’il arriva ?

La question semble triviale, elle ne l’est pas. Trop longtemps les historiens se sont cantonnés aux histoires-batailles, aux histoires-événements, puis, plus tard, aux histoires des mentalités, aux histoires des idées, mais, ce faisant, ils ont simplement mis de côté l’histoire des fées.

C’est très dommage.

Les fées, comme on le sait, sont essentielles pour comprendre, pour saisir au plus près le passé, pour ne pas se laisser aller aux aléas des interprétations. Heureusement pour nous, les fées sont têtues, et si elles ne parlent pas d’elles-mêmes, rien n’empêche de les interroger.

Clochette, donc, désœuvrée après le départ de Peter Pan, décida d’aller sur terre pour lui chercher un remplaçant. Clemenceau n’était pas son premier choix, mais il avait à l’époque bonne réputation. Elle lui offrit de vivre à ses crochets. Une boutade un peu bête mais qui fit sourire le vieil homme.

Ce dernier, malgré son immense aura, avait très mauvais caractère – il le reconnaissait lui-même en se paraphrasant : « Quand on a du caractère, il est toujours mauvais » –, mais il n’avait rien contre les fées.

Ils conclurent donc un pacte qu’ils scellèrent dans un lien qui dorénavant les unissait. À Clemenceau les fortes phrases, les blagues maladroites qu’il aimait distribuer. À Clochette la jeunesse, les jeux qui vont avec, et surtout l’esprit. Elle lui insuffla le goût du bon mot, de celui qui fait mouche et qui pulvérise tous les egos.

Grâce à Clochette, nous eûmes droit à ce que nous connaissons, un vaste réservoir de citations qui, sans elle, n’auraient pu voir le jour. Grâce à cette jeunesse, le vrai vainqueur de Verdun verdit et nous enchanta.

Clemenceau entra dans nos têtes et n’en sortit pas. Et à sa mort, tous suivirent son conseil magistral, qui fut ensuite largement copié : « Pour mes obsèques, je ne veux que le strict nécessaire, c'est-à-dire moi. »

L’histoire des fées connut là ses lettres de noblesse, il n’y a pas lieu de s’en étonner et c’est même tout le contraire.

Comme dit sagement le proverbe : « Les fées ne cessent pas d'exister parce qu'on les ignore. »

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Une rencontre improbable
[Rabat, 2017]
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