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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Tragédie ?

Oui, je sais, la scène est apprêtée, elle ne paraît pas prise à vif. Oui, mais quand même, il y a là un vrai mort, et un autre qui le salue.

On regarde et on se dit : pourquoi est-ce l’artificiel qui me monte au nez ? Comme si l’on devait refaire la prise : « Eh Coco, ça ne va pas du tout. Ça fait forcé, on reprend la pose ! » Parce que le mort à terre, il ne va se réveiller.

Et c’est étrange quand même, de ne pas voir la tragédie, de la mettre au second plan. Comme si le mort passait après, comme si on ne se concentrait que sur l’évocation – bonne ou mauvaise. Si c’est elle qui compte, le mort passe et ne revient pas.

Et si je dis, mon cousin est mort comme ça, bêtement, d’une balle en plein cœur. Il n’a pas du tout souffert, et il est tombé comme ça, en arrière. Sans même ses bras pour le protéger. Et l’autre, il peut bien imiter l’adieu, il n’a rien à voir avec la scène.

Dans ce cas, verra-t-on la tragédie ?

La sincérité toujours nous pend au nez, comme le chien hume sa proie : elle est là ou pas ? Parce que son absence referme le grand livre, la grande porte, et toutes nos ouvertures. Il n’y a plus rien à sentir, plus rien à imaginer. On se claquemure avec nos émotions. On jette un œil sur la photo et rien ne perce. Seul subsiste un mauvais cliché.

Je voudrais bien maudire le photographe, lui qui n’a pas su prendre. J’aimerais bien l’engueuler pour ce qu’il vient de faire, pour les conséquences lointaines de sa photo ratée.

Mais voilà, je sais bien que la faute n’est pas entièrement sienne. Je sais bien que je m’oublie en ne pensant qu’à lui.

J’aimais beaucoup mon cousin et tous les autres qui sont tombés, ce jour-là.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Tragédie ?
[Rabat, 2017]

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