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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Test

On suppose généralement que nos expressions populaires sont automatiquement adaptées aux situations de la vie courante, qu’elles se moulent dans nos comportements sans coup férir, comme une sorte d’habit universel qui serait toujours à notre taille.

C’est évidemment plus compliqué que ça.

Prenons un exemple simple. Comment croire que l’expression « mettre la charrue avant les bœufs » est arrivée toute chaude dans nos assiettes, sans que personne n’ait inversé l’animal et l’attirail pour juger du résultat ?

Il a bien fallu que des paysans visionnaires tentent l’expérience, qu’ils valident en quelque sorte l’expression avant de la mettre sur le marché. Qui peut croire un instant qu’un industriel un peu responsable offrirait à la vente un produit non testé ? C’est la même chose et c’est absurde !

De tout temps, il y eut des gens dévoués à notre langue dont l’unique rôle était d’éprouver par une série d’expériences contrôlées la qualité de nos expressions populaires. Ces aventuriers du bon sens ont dû parfois batailler dur pour homologuer certaines formules. Que l’on pense à tous ceux qui ont « tenu la chandelle », ou qui ont « pris la poudre d’escampette », qui ont « fait un bide » ou qui ont « filé un mauvais coton » !

Mon oncle faisait partie de ces hommes courageux. Dans sa jeunesse, il avait même eu son heure de gloire en « donnant sa langue au chat », une expression risquée dont on ne savait à l’époque par quel bout la prendre.

Il s’occupait vers la fin de sa vie de formules moins dangereuses, et il avait même pris un certain plaisir à « dorer sa pilule », voire une fois à « s’envoyer en l’air ».

On le voit ici en pleine expérimentation tenter de « prendre un vent », c’est évidemment désagréable, mais c’est pour le bien de la science.

Sur son lit de mort, toujours vaillant, il eut l’idée de tester une ultime expression. Ces amis tentèrent sans succès de l’en dissuader, mais mon oncle était têtu.

Il est rentré dans l’histoire en « passant l’arme à gauche ».

« C’est bon, dit-il dans un souffle, vous pouvez valider ! »

On chercherait en vain aujourd’hui des testeurs de sa trempe…

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Test
[Rabat, 2017]

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