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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Bataille navale

On voit bien l’enjeu. La France et l’Angleterre en étaient venues aux mains.

L’histoire est connue, je n’y reviendrai qu’à grands traits. De tout temps, le bras de mer qui sépare nos deux pays avaient été source de tensions. Impossible de se mettre d’accord sur un nom commun pour ce nom propre. Comme d’habitude, les Anglais tirèrent les premiers en décidant unilatéralement de l’appeler Mare Britannicum dès l’époque romaine ; nos ancêtres répondirent à raison par un Mare Gallicum qui fleure bon notre campagne. L’affaire s’envenima.

Ils tirèrent leurs salves du XIIe au XVIe siècle presque sans interruption avec successivement une Mare Anglicum, puis un Oceanus Britannicus, concluant en 1540 par une Mare Anglica – excusez du peu ! Nos aïeux proposèrent bien une Mer de France et d’Angleterre (1587) pour calmer les esprits, rien n’y fit.

Ils repartirent à la charge avec un British Ocean qui dériva assez vite vers the Channel. Nous trouvâmes la parade avec le Manche, dont la masculinité cache à peine l’ironie. Mais ils répliquèrent toujours perfide par la Manche d’Angleterre qui ne permet plus de saisir la blague.

Aujourd’hui on en est là, avec un bras de mer qui n’a pas de nom. Désigné d’un côté comme the English Channel, totalement hégémonique en plus d’être imprononçable, et de l’autre comme la Manche, non pour la faire mais pour bien montrer que nous gagnâmes la première.

On décida en haut lieu que l’histoire méritait un terme et l’on désigna les champions.

Cet épisode est connu chez nous comme la bataille de France et chez eux comme la bataille d’Angleterre, peu importe. Les sacs dont disposent les deux combattants sont remplis de son, en anglais bran, qui vient d’ailleurs du français bran, bref on tourne en rond.

On reconnaît bien l’anglais à sa mine réjouie, il pense qu’il a gagné, il se trompe. Jacques, de l’autre côté, a lesté son son de boules de pétanque, c’est amoral, mais la France est taquine.

Le combat fut épique, malheureusement les deux champions churent en même temps, le pat était patent. On décida de passer par-dessus le différend en construisant un tunnel qui relierait nos deux contrées. Les Anglais acceptèrent, ils le baptisèrent rapidement the Channel Tunnel, nous répliquâmes agacés par le Tunnel sous la Manche.

On était reparti pour encore mille ans…

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Bataille navale
[Rabat, 2017]

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