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[Chroniques minuscules]

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Une enquête serrée

C’était la première fois que l’on entendait parler d’un meurtre chez les sirènes. Ce petit peuple était en général d’une admirable discrétion, mais il n’en reste pas moins qu’il tombait sous notre juridiction. Après quelques atermoiements, on me confia l’affaire.

L’enquête s’annonçait serrée.

Notre premier déplacement sur les lieux fut vécu par tous comme une aventure. Je me souviens de l’inquiétude de notre chauffeur dans la descente. Il eut ce mot que je conserve : « Si ça flotte, on est bons. »

Je rassure le lecteur, cela flotta. Il n’en reste pas moins que nous étions passablement anxieux.

Franchir le passage qui mène aux profondeurs n’est pas une mince affaire. C’est un moment incertain où l’on résiste à la pente. Alice, elle-même, eut un mouvement de recul avant sa traversée du miroir. Le premier pas du rêve, c’est l’abandon. Les sirènes le savaient bien, qui nous attendaient avec l’impatience un peu lointaine des créatures de l’eau.

On croit que ce qui se passe sous la Seine ne nous touche pas. On croit facilement se détacher de ce qu’on ne voit pas. Pour nous, les membres de la police fluviale, ces fausses affirmations marquent seulement les limites des passants, de ceux qui marchent sur les chaussées et qui n’ont pas l’attrait des profondeurs.

Je me souviens de cette première enquête, de l’étonnement des piétons. Du sentiment de respect aussi pour notre profession : il n’est pas de lieu à Paris où le droit ne s’applique pas. Voilà ce que l’on pouvait lire dans les regards.

À presque cent ans de là, je suis sûr que c’est toujours le cas.

 

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Une enquête serrée
[Rabat, 2016]

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