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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Une question épineuse

Bien sûr que ça pique ! Mais l’idée est de n’en rien paraître.

La révolte des fleurs débuta un matin. Touchées d’avoir été longtemps coupées, on pense qu’elles décidèrent de prendre leur revanche. N’ayant aucune idée de la mesure, elles s’engagèrent dans la voie facile de la profusion. Elles partirent à l’assaut des choses, et nous en faisions partie.

Inutile de dire que cette promiscuité imposée toucha d’abord la bonne société. Chez les pauvres, le contact de la plante ne fait aucun effet, on est plutôt bienveillant côté frottement. Pour la gentry c’est tout autre chose, au moindre rapprochement on a l’impression de manquer d’air. Que dire, alors, du frôlement de mille fleurs qui explosaient en mille odeurs !

Heureusement, on trouva rapidement la parade. À cette offensive végétale, il suffisait de répondre par une forme de dédain, assez répandue dans les sphères montantes, qui, sans rompre l’assaut fleuri, assurait néanmoins le respect du quant-à-soi. Pour le dire plus crûment : il suffisait de ne pas en avoir l’air. Une formule qui fit mouche, mais dont le sens s’est perdu.

Cette demi-victoire était suffisante pour les humains. Les roses, elles, s’en fichaient modestement. Elles continuèrent leur manège en imaginant des motifs serrés, des avancées en boucle, où le moindre appui leur servait de tuteur.

L’attitude réservée de la comtesse Marie-Cécile de Rocagne fut un modèle pour nos concitoyens. Sa bouche à demi ouverte est le seul signe de sa tension. Il faut dire à sa décharge que les roses avaient déjà envahi son chapeau. Elle ne paraît pas plus s’en soucier.

Sa grandeur témoigne, et la beauté de son geste est justement de n’en pas avoir.
Les fleurs reconnaissantes purent librement partir à la découverte de ses bras.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Une question épineuse
[Rabat, 2016]

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