Menu General

[Chroniques minuscules]

Chroniques
Chronique précédente

Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Le passage du peintre

J’aime beaucoup Van Gogh, mais je ne comprends pas ce qu’il a fait à notre maison.

On lui avait laissé les clefs, ma femme et moi, avec ce conseil en forme de supplique : « Surtout, ne peignez pas ! »

Visiblement, il n’a pas su résister.

Vincent est un être charmant, mais il transforme tout ce qu’il voit. Une maison bien droite est une offense à son regard, un ciel étoilé et bien agencé devient sur sa toile une explosion de volutes lumineuses où tout est chamboulé. Il a la manie des couleurs et des bouleversements hasardeux.

Je ne dis pas que je n’aime pas, mais surtout chez les autres.

Naturellement, on me dira que tout est dans le regard et dans la représentation, qu’il ne touche en rien à la réalité des choses mais à l’idée que nous nous en faisons. Fort bien, mais qu’est-ce qu’on fait avec ma maison ? À chaque fois qu’on la regarde elle apparaît comme ça.

Ma femme et moi avions des goûts plutôt grecs, des rectangles et des carrés suffisaient à notre bonheur. Nous avions patiemment calculé les proportions de notre demeure et j’avais même inclus un peu du nombre d’or sur la façade de l’entrée.

Tout cela a disparu sous le regard du peintre. Nos amis nous l’ont dit avec un brin de malice : « Votre maison, elle a maintenant tout d’une toile. Vous devriez l’exposer. »

Van Gogh est un ami, je ne le conteste pas, mais qu’il montre ses talents en dehors de chez moi, qu’il transforme ses paysages, qu’il habille ses églises. Et surtout qu’il tende l’oreille aux requêtes de ses amis et qu’il arrête de peindre ce qui n’est pas à lui !

En partant, voulant sans doute se racheter, il a dit à ma femme : « Il est très beau votre jardin, j’ai bien envie de le croquer. ».

Mon épouse, pourtant d’ordinaire très calme, eut un geste d’effroi : « N’y pensez même pas ! »

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Le passage du peintre
[Rabat, 2016]

Chroniques
Chronique précédente