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Quand le dieu danse, nous passons...

 

 

Je le voyais danser. Un vieux, déguenillé, surplombant le trottoir, dans un désordre de passants, en face de l’Avenue, grouillante de klaxons.

 

 

 

Chaque soir, il dansait, le bougre, et quelques-uns s’arrêtaient, humant la fantaisie. Des mouvements de bras, des gestes indécents, il s’occupait l’humeur en faisant le spectacle. Ah, le beau, le bon, le vieux, le clown, tellement que certains le hélaient : « Hé ! La danseuse ! », et repartaient en klaxonnant.

 

 

 

Ah, le bon, le vieux, le spectacle ! Ah, quel plaisir du fou, le contentement des autres ! L’incongru fait homme, comme le visage d’un affront.

 

 

 

Une divinité aurait pu s’y méprendre, une danse sans musique, un satyre sans muses, une pauvreté en silence qui pourtant s’agitait.

 

 

Et le torrent, surtout, le défilement incessant de pieds, de roues, de multitudes habillées comme à la sortie, comme au travail, le flot de ces pas, de ces moteurs passants qui dans l’instant faisait un fleuve vivant, obscur, présent, insignifiant, modulé de bas-fond, de on-dit, de présences, des flots de vies qui ne regardaient pas.

 

 

 

Ah, la joie !

 

 

 

Et la bouche du métro toute proche qui avalait, une gueule ouverte au plaisir de recevoir, on s’oubliait dans la descente, dans ce happement, dans l’engloutissement des passages. Et lui le vieux, continuait à danser sur son promontoire.

 

 

 

Et quoi de mieux qu’un vieux, qu’un clochard, qu’une bête pour danser comme ça ? Quoi de mieux que ça pour décrire, pour filer l’histoire, pour sentir, pour happer, pour prendre à plein nez, mais tout cela en silence, en incongruité, en raisons inutiles, en sapant tout, en faisant disparaître jusqu’à l’idée ?

 

 

 

Car il pulvérisait.

 

 

 

La sympathie, la gêne, la hiérarchie, les faux-semblants, la preuve, l’explication, le remords, l’exemple, tous les trop-pleins, tous les débordements, toutes les tentatives.

 

 

 

Voyez-vous, il dansait !

 

 

 

Une danse sans réjouissance, une danse joyeuse ou triste, mais une grande dévoreuse. La carnassière des sentiments, déchiquetant la compassion, l’empathie, la tristesse et son absence, prenant tout, pulvérisant tout, et laissant au passant le soin du ridicule, de l’à-côté, laissant aux passants l’inconsistant, la demeure du certain, la vision nocturne, et tous ces petits bains où l’on aime se repaître.

 

 

 

Lui ne laissait rien, s’engageait sur son promontoire comme sur une table rase, il invitait au banquet en saisissant les plats, en ingurgitant goulûment toutes les sentences, tous les jugements, tous les silences.

 

 

 

Il dansait.

 

 

 

Une vieille femme s’approcha et lui posa une pièce. Il n’eut pas un mouvement hors de ses mouvements. Aucun regard, aucun merci. Mais je vis bien à ses yeux le clignement, le dédain, la grandeur et l’envie. Je compris son orgueil, son détachement, sa morgue. Je sus, comme on peut savoir, son incarnation.

 

 

 

Un Dieu terrible et misérable.

 

 

Je m’éloignais dans l’instant. Avec derrière moi comme le bruit d’une symphonie.

 

 

 
   
 
Christophe de Beauvais, La danse
[Sao Paulo, 2011]
   
 
   
 
   
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Cuando Dios danza, nosotros pasamos...

 

 

Lo veía danzar. Un viejo harapiento inclinado en la acera, en un desorden de pasantes al frente de la avenida, hirviendo de claxons.

 

 

 

Cada tarde danzaba el bribón y algunos se paraban a mirarlo, oliendo la fantasía. Moviendo los brazos, con gestos indecentes, se ocupaba el tiempo dando el espectáculo. ¡Ah el bello, el bueno, el viejo, el payaso ! Y algunos le decían « ¡eh ! ¡la danzarina ! » y se iban claxoneando.

 

 

 

¡Ah el bueno, el viejo, el espectáculo ! Ah que placer loco, la satisfacción de los otros. Lo incongruente hecho hombre, como la faz de un agravio.

 

 

 

Una divinidad habría podido equivocarse, una danza sin música, un sátiro sin musas, una pobreza en silencio que sin embargo se agitaba.

 

 

Y sobretodo el torrente , el desfile incesante de pies, de ruedas, de multitudes vestidas como en domingo, como en el trabajo, el flujo de pasos, de esos motores que en el instante formaban un río vivo, oscuro, presente, insignificante, como en los bajos fondos, de dichos, de presencias, de ondas de vida que no miraban [nada].

 

 

 

¡Ah la alegría !

 

 

 

Y la boca del metro tan cercana que tragaba la gente, una boca abierta al placer de recibir, uno se olvidada de sí mísmo en la bajada, en esa aspiración enredada, en el hundimiento de los pasajes subterráneos. Y el viejo continuaba a danzar en su promontorio.

 

 

 

Y que mejor que un viejo, que un vagabundo, que un animal para danzar así. Que mejor que eso para describir, para seguir la historia, para sentir, para atrapar de un bocado, para aspirar bien, pero todo eso en silencio, en incongruidad, en razones inútiles, socavandolo todo, haciendo desaparecer hasta la idea.

 

 

 

Pues él lo destruía todo.

 

 

 

La simpatía, el malestar, la jerarquía, los pretextos, la prueba, la explicación, el remordimiento, el ejemplo, todos los desbordamientos, todas las tentativas.

 

 

 

¡Vea Usted, él danzaba !

 

 

 

Una danza sin júbilo, una danza feliz o triste, pero una danza devorante. Carnívora de sentimientos, triturando la compasión, la empatía, la tristeza y su ausencia, tomando todo, haciendo de todo polvo, dejando al pasante lo ridículo, dejando también lo superfluo, la casa de la certeza, la visión nocturna, y todos esas pequeñeces que nos deleitan.

 

 

 

El no dejaba nada, se quedaba en su promontorio como sobre una mesa, invitaba al banquete tomando los platos, ingiriendo golosamente todas las sentencias, todos los juicios, todos los silencios.

 

 

 

El danzaba.

 

 

 

Una vieja mujer se acercó a él y le dió una moneda. Pero él no hizo ningún movimiento fuera de los suyos. Ninguna mirada, ni las gracias. Pero yo ví bien en sus ojos el parpadeo, el desdeño, la grandeza y la envidia. Comprendí entonces su orgullo, su desapego, su arrogancia. Supe también, como se puede saber, su encarnación.

 

 

 

Un Dios terrible y miserable.

 

 

Me alejé al instante. Con el sonido de una sinfonía detrás mío.

 

 

 
   
 
Christophe de Beauvais, La danza
[Sao Paulo, 2011]
Traducción: Mariella Villasante Cervello
[Rabat, 2016]
   
 
   
 
   
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