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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques
Source gallica.bnf.fr / BnF
Hiérarchie

Les patrons étaient de sortie, et il est vrai qu’ils avaient changé.

Je voudrais commencer cette leçon par une question : à quoi reconnaît-on le patron ou l’employé ? Comment les distingue-t-on ? On pourrait croire qu’il s’agit d’une question de vêtement, mais j’ai connu des patrons qui s’habillaient très mal et des employés qui portaient des pochettes en soie. On pourrait poursuivre par la taille, par la longueur des jambes, par l’extension des bras, mais on ne trouverait rien. On pourrait enfin se rabattre sur les objets, sur la montre à gousset, sur la bague au doigt, ou sur la chaîne en or que les kakous affichent quand ils vont à la plage. Tout cela ne mène nulle part.

Comme le disait Marlowe, mon maître, « l’apparence n’est signe de rien, tant qu’elle n’est pas interprétée ». Et je pourrais rajouter, en pensant à ma grand-mère, que « l’interprétation ne se voit pas ». C’est très fort, mais il est vrai que ma grand-mère était corpulente.

Donc la question demeure, et pour enfin la résoudre, il nous faut brancher le son. « Dis donc, Jules, tu ne vas pas me frapper avec ton râteau ? » « Que nenni, Albert, c’est simplement que j’ai une peur bleue des chevaux de bois. » « Vous faites quoi tous les deux ? Parce que là, on a du travail. Je dois faire des courses en ville. » « Et moi, je dois ramasser tout le gravier. » ; « Dis donc mon petit gars, pas ce ton avec moi ! » « Qu’est-ce qu’il a mon ton, tu veux en goûter ? » « C’est ça ramène ta fraise ! » « Allez bosser et fichez-nous la paix ! » « Toi-même ! » « Non, toi ! » « Non, toi aussi ! »

La démonstration est, je crois, tout à fait convaincante.

Le son résout simplement tous les mystères de l’interprétation. En bref, l’interprétation s’entend. La musique est d’ailleurs là pour ça.

Nous savons bien à présent qui sont les vrais patrons et les vrais employés. J’espère bien que cette leçon vous servira à l’avenir, à distinguer sans erreur le pauvre péquin du petit chef. Et bien sûr, à s’adresser à l’un avec la déférence qui convient. Quant à l’autre, oubliez-le, il n’en vaut pas la peine.

Je vous remercie.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Hiérarchie
[Rabat, 2017]

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