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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Coup de cœur

Hermès dans la boutique avait eu son coup de cœur. Comment aussi ne pas se mettre un petit peu à sa place ? Avoir constamment des ailes aux pieds ne grandit pas l’ego. Il trouvait même, avec le temps, que ça lui donnait un air légèrement efféminé. À l’époque on ne badinait pas avec le mélange des genres.

Alors, découvrir comme ça une chaussure à chenille, on peut comprendre qu’il fut enthousiasmé. Et puis, il y avait aussi le parfum de la nouveauté, l’esprit de modernité. En ce temps, Hermès était encore jeune. Le vendeur sut saisir son regard et bien sûr en rajouta : « Et en plus, dans les descentes, on peut faire des virages. »

Hermès était tout émoustillé. « Et vous avez ma taille ? » Le vendeur fila en réserve, il faut dire qu’un 46, ça ne se trouvait pas comme ça.

En attendant, il considéra le talon avec attention. « Avec ça, impossible que l’on me fasse le coup de cet idiot d’Achille, et en plus ça me grandit ».

Le vendeur revint avec du 45. « Ne vous inquiétez pas, ça rentrera quand même. » Et ça rentra ; comme quoi, 45, 46, on s’en fout. Hermès était au comble du bonheur, bien qu’un peu serré.

Il paya le vendeur, et se rendit chez Aphrodite. « Tu as vu mes patins ? » Et elle, un peu gênée, ne sut que répondre. « Et ça roule ? » Une formule qui fit florès, mais un peu plus tard.

Ils filèrent l’amour parfait, lui sur ses chenilles, elle sur la pointe des pieds. Ils eurent ensuite un fils, qu’on appela Hermaphrodite. C’était peut-être une fille, on ne sait pas.

Comme disait le poète, « rien ne compte dans l’amour, si ce n’est de trouver chaussure à son pied ».

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Coup de cœur
[Rabat, 2017]

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