La fabrication des têtes était un secret bien gardé, mais il est sans doute inexact de croire qu’on l’a oublié.

Une tête prenait du temps, il y avait bien sûr le moule, mais aussi la matière, et encore la cuisson, et tous ces petits détails qu’il fallait enfin limer. La limitation des têtes tenait à leur expression, celle-là, malgré les progrès de la technique, ne changeait pas. On sortait du four soucieux ou concentré, content ou attristé, mais le tout pour l’éternité.

Des générations auraient à vous voir tel que vous fûtes un jour, mais comme enfermé, comme réduit dans une seule émotion. La rançon de l’immortalité s’imprimait dans la forme, le pacte était dans la représentation. La seule qui vous suivrait, l’unique apparence qui vous succéderait.

On tenta bien sûr d’innover, de paraître autrement, d’imprimer la complexité de l’âme. Mais la matière, comme le talent, sont limités. On en resta là.

Aujourd’hui c’est très différent. Grâce aux avancées prodigieuses de la science, les têtes ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles sont – pour ainsi dire – plus multiformes, elles rassemblent de très nombreux sentiments, elles sont joie, volupté ou tristesse. Elles expriment enfin la palette des affects, elles se sont libérées de l’emprise des matériaux.

Les anciennes têtes étaient simples, et sans doute trop pleines. Les nouvelles se donnent à voir dans la multiplicité. Bien sûr, pour ce faire, on les a vidées. Elles nous remplissent sans doute moins, mais au moins elles s’exposent.

Des successions de nature électronique, des galeries entières de selfies où elles se retrouvent, des données en pagaille comme arrachées dans le contentement, et qui ont très peu à voir avec les pauvres bustes de nos aïeux.

Je regrette un peu la simplicité d’antan, les ateliers robustes et les reproductions uniques. Ces formes définitives qui nous faisaient rêver.

Mais l’important, bien sûr, n’est pas là. La continuité fixe ici sa mesure.

Si la tête survit, le reste est bien indifférent.