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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source http://blog.cwam.org/2011/03/before-radar.html
Déclaration de guerre

Le général Hashimoto avait décidé que la guerre serait totale, mais surtout qu’elle serait musicale. On avait d’abord suggéré des instruments à cordes, mais rapidement les instruments à vent s’étaient imposés. Le souffle des trombones avait donné l’idée d’une attaque en ré bémol. Un son propre à déstabiliser l’adversaire qui ne jouait qu’en do majeur.

Le général Hashimoto était un fin stratège, mais surtout un admirable chef d’orchestre. Il sut mettre son génie au service de notre armée. C’est lui qui imagina les mitraillettes à demi-ton – la fameuse gamme chromatique – qui, en mouvement ascendant, neutralisait l’adversaire plus sûrement que leurs ut à un coup. Au petit do-do de nos ennemis, on répondait par des tirs nourris, par des envolées de dièses ou de bémols qui enchantaient nos oreilles et les laissaient pantoises.

La guerre tonale n’était pas loin.

Leurs généraux avaient bien tenté une arme secrète, nos espions rapportaient qu’ils recherchaient le mi dièse, une note qui sentait l’effroi. Hashimoto nous rassura d’un mot : « Ces gens ne connaissent rien au solfège ! Laissez-les s’abîmer dans leur quête du fa ! ».

Nos ingénieurs mirent au point – la photo en témoigne -, les trombones-canons dont la portée était magistrale. Nous pûmes initier des attaques à longue distance et débuter la mise en place de symphonies.

La guerre devenait grandiose.

Hashimoto à sa baguette guidait la grande armée. Nous commençâmes par des séries de trilles qui montraient notre détermination ; un solo de hautbois poursuivit le combat. Puis nous attaquâmes en croches et pour certains en doubles croches. Le son était partout et multipliait les éclats.

Je fus, il est vrai, touché par la petite musique de nuit d’un tireur embusqué. Cette blessure à mon cœur ne dura qu’un instant. Blessé dans mon amour-propre, je réagis promptement avec ma flûte à bec, en tirant prestement deux ou trois notes en allegro – ma non tropo.

Je me souviens d’Hashimoto et de ses guerres d’ailleurs. Ah le bon temps des batailles musicales ! Des notes d’altérations massives qui ravissaient les oreilles mais qui, surtout, laissaient les âmes en paix.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Déclaration de guerre
[Rabat, 2016]

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