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[Chroniques minuscules]

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Le travail d’Hercule

« Hercule, mon chéri, tu n’as pas vu mon napperon ? Tu sais bien le petit napperon blanc, très joliment brodé que je mets sur la table du salon ? »

Hercule était bien embêté, pour une fois qu’il était tranquille, il fallait que sa mère vienne le déranger. Concentré sur ses travaux, il réfléchissait à des plans compliqués pour vaincre l’Hydre de Lerne, puis Cerbère, puis les écuries de ce dégoûtant d’Augias.

« Hercule, tu as mis tes chaussettes ? Avec ce temps, mets-les s’il te plaît, tu sais bien que tu es sensible des pieds ! »

Hercule, bien que stoïque, bouillait en lui-même. « Douze travaux, c’était trop simple, c’était sans compter ma mère ». Il reprit pourtant ses réflexions : « Pour le lion de Némée, je passe par l’arrière, je le pique au flanc puis je recule, un coup à droite, un coup à gauche, et le tour est joué. »

« Mon chéri, viens m’aider pour la vaisselle, tu sais bien que l’eau froide est mauvaise pour mon arthrite. »

C’en était trop. Hercule au bord de la crise de nerfs, d’un coup se leva. Des fleurs à sa vue se pâmèrent. Il est vrai que debout, il paraissait plus grand.

Il tonna : « Mère, ne sais-tu pas ma destinée ? Ne vois-tu pas ces travaux dont on m’a chargé ? Je suis Hercule et dans le cœur des hommes je serai pour des milliers d’années le héros qu’ils acclameront. Laisse-moi me préparer ! »

Il ne s’attendait sans doute pas à ce qui allait suivre.

« Oh là, là, mon petit bonhomme, pas ce ton avec moi ! Tu vas commencer par te calmer, puis tu me rendras mon napperon, ensuite tu mets tes chaussettes et tu vas faire la vaisselle. Je ne sais pas pour qui tu te prends avec tes travaux, mais pour l’instant tu obéis à ta mère ! »

Le bouillonnement d’Hercule disparut dans l’instant. Il n’était pas préparé à affronter ces puissances. Légèrement penaud, il chercha une parole pour calmer la tempête. Il finit par trouver deux mots largement répartis : « Oui maman. »

Sur l’autel maternel, Hercule, le grand Hercule, était une nouvelle fois vaincu. Tous les héros, pour sa défense, avaient déjà subi le même sort.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Le travail d’Hercule
[Rabat, 2016]

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