Présenter les 61 pièces que José González Veites expose ici, c’est, pour moi, affronter un évènement. L’Atrium de Nepantla permet, comme le désirait Rothko, d' « être à l’intérieur du cadre » : parcourir les productions picturales dans la proximité de l’écran fait de cette expérience un acte intime. Il n’y a pas d’ordre chronologique qui s’impose à la structure ou à la couleur. Mais, pour autant, la structure et la couleur ne dictent pas non plus la « muséographie » de cette métatoile digitale. Organiser les séquences fait que c'est ma subjectivité qui dicte, inévitablement, leur succession : de mon point de vue, la structure invite, mais la texture attire et la couleur embrasse (et embrase). Et, au final, la mise en page enveloppe mon désir.
Comme tout désir est toujours le désir de quelque chose d’autre et que ce qui se trouve n’est pas ce qui manque mais bien ce qui est mis à la place de ce qui manque, le désir appartient à un autre monde, qui commence de l’autre côté de ces œuvres où les règles de la nature, ou de la gaya scienza –le gai savoir–, pulvérisent les lieux communs.
S’il était vrai que chaque artiste recrée infiniment une même argumentation, celle de González Veites serait une trame dont les prémisses ouvrent portes et fenêtres. Les fissures chromatiques invitent à traverser, à laisser derrière l'insensé de la prétention du réel. Pour aller de l’autre côté des réticules –dont la droiture est parfois ambigüe– il faudrait, comme Stalker, lâcher le guide : ici, poudre noire de la mine ou corde qui pend et projette une ombre subtile. Outils utiles dans la poursuite du désir.
A déambuler par les Voiles déchirées on ne dérive pas : elles nous confrontent à des productions dans lesquelles nous nous abîmons. On fait un effort pour échapper à l’une, et c’est pour mieux tomber dans l'autre. L’univers de González Veites est fait de bornes. Chaque œuvre marque les limites d’un territoire et s’il y a –sans aucun doute– des dialogues secrets entre certaines de ses œuvres, toujours le sens se suspend sur les bords. Ce sens est chargé de sensibilité, de perception, de signification, d’intérêt, de direction, de trajectoire, itinéraire, route, déambulation, tendance, parcours. L’exercice est nôtre. Et une éventuelle paréidolie est nôtre aussi. Il n’y a ici aucune anecdote, aucune narration explicite. L’ensemble de l’œuvre est l’expression d’un inconscient qui nous arrache, en réciprocité, d’un dialogue plein de force : avec l’œuvre, avec nous-mêmes.
González Veites s’engage de façon tenace dans chacune de ses réalisations. La temporalité s’introduit tout autant dans la texture d’un coin minuscule que dans la profondeur du centre visuel où la brosse, le pinceau, les doigts ou la main toute entière se suspendirent pour mieux franchir le pas, avec amabilité, ou bien sauvagerie, mais sans hâte.
Dans les tableaux on repère le tracé du crayon –parfois léger, parfois incisé– avec lequel il construit l’armature qui se veut prison sensible, et cela, pour que les taches/champs de couleurs surgissent avec voracité, maintenues à grand-peine dans les marges, se déversant finalement en éclaboussures ou triomphant dans une épaisseur tangible. De la relation entre la trame et la couleur il ressort une très forte tension.
Et la couleur n’a peur de rien. Pourtant, elle sait se tenir. Elle se marie en suivant les lois perceptuelles les plus strictes de poids, contre-poids, les équilibres les plus fins, révélant la solide formation et la technique impeccable de González Veites. La chromaticité est parfois robuste, parfois d’une légère transparence. Toujours surprenante. Immanquablement émotionnante.
De naviguer en Voiles déchirées apporte du nouveau à chaque voyage. Le chemin n’est jamais court. Quand nous entrons il prend vie, et ce qu’il nous offre dépend de nous. Ce miroir. Nous abordons la zone –différente pour tous–, où se formule le désir (qui sait si possible ?). Si Stalker exigeait de la bienveillance pour entrer, l’œuvre de González Veites est, elle, capable de soutenir le regard : quelque chose en nous a changé après le voyage.
Mallarmé disait que le monde existe pour aboutir à un livre. Ce que nous offre González Veites est le chemin vers un autre monde.