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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Le jeu des 7 différences

Jacques avait un frère jumeau qui s’appelait aussi Jacques. Leur ressemblance s’arrêtait là.

Autant le premier était d’un naturel enjoué et même un tantinet moqueur, autant le second était sérieux avec une pointe d’austérité. Leurs différences frappaient à la première rencontre, le bonjour de Jacques vous mettait immédiatement à l’aise, celui de son frère vous inquiétait.

Tout, du port de la plume au port de la tête, les distinguait. Ils décidèrent pourtant de faire de cette distinction une marque, de traverser le reflet des apparences pour mettre en lumière ce qui les unissait. Ils inventèrent le jeu des sept différences qui est parvenu jusqu’à nous.

« C’est impossible, tu ne pourras jamais me ressembler », dit Jacques, et le plus étrange c’est que son frère releva le défi : « Mais tu te prends pour qui ? Moi aussi je peux être comme toi. »

La gémellité, on le voit, fixa dès le départ les règles du jeu.

Il s’agit d’un jeu subtil qui a été longtemps galvaudé. On croit, et c’est bien normal, qu’il s’agit seulement de distinguer ce qui appartient à l’un et ce qui manque à l’autre. De saisir en quelque sorte uniquement ce qui les différencie. Mais à l’origine, le jeu était tout autre.

Les Jacques inventèrent une forme inhabituelle, la similitude cachée. Ils ne cherchaient pas à mettre en valeur leur dissemblance mais à retrouver leur identité malgré elle. De proposer au joueur un voyage dans l’altérité, pour lui montrer qu’elle s’affaisse une fois qu’on a bien regardé.

Aujourd’hui on distingue, on met en premier la petite série des différences, et partant on ne voit plus ce que les êtres ont en commun. On s’obstine à rechercher ce qui, chez l’un, ne correspond pas à l’autre. L’erreur est fille de notre époque.

Mais à présent, regardez les photos ! Ne voyez-vous pas tout ce qui les lie, toutes ces choses passées sous silence qui sont autant de ressemblances ! Ne voyez-vous pas, une fois trouvées les sept différences, l’infinité des signes qui font des deux Jacques comme une matière d’humains ?

« Bien sûr ! » dira-t-on et l’on aura bien tort. La proximité aussi doit être recherchée. Avec autant de fougue que les sept différences.

Comme disait un des Jacques : « Ce qui semble apparaître en toute évidence, est en fait le mieux caché. »

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Le jeu des 7 différences
[Rabat, 2017]

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