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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Douce folie

On dit souvent que « l’habit ne fait pas le moine », je crois l’expression profondément fausse.

Prenez un ambassadeur et mettez-le en short et en marcel, il conservera peut-être son port, mais que penser de son salut ? Et plus encore, au plus profond de lui-même, ne sentira-t-il pas la tension entre ce qu’il croit être et ce qu’il montre aux péquins de la plage ?

De là à penser que l’habit nous habite à l’intérieur et que nous nous faisons un peu miroir des regards, il n’y a qu’un pas chassé que ma grand-tante avait allégrement franchi.

Elle adorait littéralement sa robe à froufrou.

D’ordinaire plutôt digne et réservée, cette toilette particulière la mettait étrangement en joie. Mon grand-oncle, tout de raideur et de formalité, ne savait vraiment pas par quel bout prendre cette explosion de fraîcheur.

« Allez, Jules, viens danser ! » commençait-elle en se trémoussant, et lui, raide comme un planton aux arrêts, ne savait que bredouiller : « Allons ma chère, un peu de tenue. »

De la tenue, elle en avait à profusion sous ses volants, elle goûtait sa folie passagère comme un grand verre de liqueur, une boisson forte et revigorante qui la grisait au-delà du raisonnable.

« Ah ! se disait-elle, la vie, l’époque, le temps, comme tout cela est éphémère, profitons-en ! Profitons-en ! »

Alors elle dansait, elle dansait comme on danse dans ces moments-là, une danse sublime ou ridicule, un succédané de vie très épicé qui lui servirait de viatique durant une longue semaine.

Elle s’en fichait un peu du regard des autres dans sa robe à froufrou, elle célébrait l’instant dans un espace contraint par toutes les bienséances, par tous les codes, par toutes les décences qu’elle devait endurer.

Alors elle pouvait bien danser. Ma grand-tante un peu folle qui aimait ses froufrous.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Douce folie
[Rabat, 2017]

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