Menu General

[Chroniques minuscules] II

Chroniques
Chronique précédente

Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Les débuts du saut

Tout commencement est marqué par une certaine fraîcheur. Les parents s’attendrissent à la première dent de leur nouveau-né, les moqueurs s’interrogent gentiment sur les débuts de l’aéroplane – « comment pouvait-il voler ? » –, et la première cuite de mon cousin Albert est l’archétype du souvenir mémorable que l’on se repasse à chaque génération.

Qu’on ne s’attende donc pas à ce que je critique de quelque manière les débuts d’une discipline qui deviendrait bientôt olympique. Pour autant, je peux comprendre l’étonnement légitime des observateurs d’aujourd’hui : ne pouvait-il sauter plus haut ?

La réponse doit être ici catégorique, c’est non !

On ne s’envoie pas en l’air comme ça. Tout commencement, je le disais à l’instant, doit bien débuter quelque part. Et ce lieu de tous les débuts, c’est évidemment le zéro. Il faut bien, dans toute nouveauté, s’appuyer sur le rien pour pouvoir le dépasser. Le premier son, pour prendre un exemple classique, se distingue d’abord du silence avant de s’envoler. On voit mal Beethoven se mettre directement à la cinquième sans passer la première.

Que l’on songe à tous les préludes, au premier chant d’oiseau, au premier sou des grandes fortunes, à la première nuit d’amour, au premier mail, au premier dessin sur les murs des cavernes, à la première tarte Tatin, et posons-nous la question : qu’est-ce qu’il y avait avant ?

Rien, évidemment, et pour le saut c’est exactement la même chose. La montée en gamme vaut pour toutes les hauteurs, et il n’y a qu’un Icare pour se croire au-dessus du lot.

« Tu as vu, un mètre quand même ! Quelle époque ! »

Et ils avaient bien raison nos ancêtres de s’émerveiller, ils se savaient à l’orée de grands exploits. Le franchissement du mètre allait faire des émules. Nous sautons aujourd’hui de plus en plus haut, nous sautons partout, sur toutes les occasions et parfois sur tout ce qui bouge.

Le saut, oserai-je, c’est l’avenir de l’homme, avec l’inconnu au bout de la chute.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Les débuts du saut
[Rabat, 2017]

Chroniques
Chronique précédente