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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
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Évidemment, c’était la première fois. Et les journaux du monde entier titrèrent sur « l’événement le plus important de l’humanité depuis l’aube des temps ».

Mais une fois l’excitation retombée, il fallut bien se rendre à l’évidence : les documents des extraterrestres n’étaient pas en règle.

Le fait qu’ils aient choisi le jardin des Tuileries pour leur atterrissage avait flatté l’esprit de nos concitoyens. D’aucuns y virent également une tentative un peu vaine pour amadouer nos autorités administratives. Il était clair qu’ils ne nous connaissaient pas.

Je fis partie de la commission chargée d’évaluer la pertinence réglementaire de leurs papiers. Je me souviens avoir essayé de fléchir le commandant Gaspard – de trois quarts dos, à gauche – qui jugeait « absolument ahurissantes » – ce sont ses termes –, les lettres de créances de ces plus qu’étrangers.

« Venir de loin ne saurait être une raison, la distance n’est pas un passe-droit. Soit vous avez des documents de qualité, soit vous n’en avez pas. Il n’y a pas à tergiverser avec la Loi, dont je rappellerai tout à l’heure en séance la devise première nemo censetur ignorare legem ! »

Ces fortes paroles suscitèrent un rapide débat. Nul n’est censé ignoré la loi, certes, mais ce « nul » s’appliquait-t-il à eux ? Se pouvait-il que le législateur ait inclus toutes les créatures pensantes de l’univers dans cette formulation ?

Il faut dire qu’entretemps nos étrangers de passage étaient remontés dans leurs vaisseaux dont ils avaient fermé toutes les issues. Ce geste de bouderie, peu amical, emporta finalement notre décision.

On apposa en rouge le tampon « refus de visa » sur leurs documents et on glissa l’enveloppe sous leur soucoupe. Le lendemain ils n’étaient plus là.

Je me demande aujourd’hui si nous ne sommes pas passés à côté de quelque chose…

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Contact
[Rabat, 2016]

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