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[Chroniques minuscules]

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Épilogue

Je me demande ce que je fais là.

Est-ce vraiment cela ce que nous fûmes ? Des jeux et des éclaboussures, des rires d’enfants et plus tard la photo ? Des éclats de voix, des ballons, des dossiers, des rapports, des contentements de maisons, de travail, de marques, des plaisirs de table, des souvenirs de jeunesse, des naissances et des morts ?

Et quand tout ça aura disparu, tous on recommencera.

Il y a quelques secondes à peine, elles étaient joyeuses, toutes les demoiselles et les enfants aussi qui attendaient la passe. Il y a quelques secondes à peine, l’eau était délicieuse, la lumière idéale, l’atmosphère réjouie, tout aurait fait du cliché une magnifique carte postale. Je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas pris.

Je crois que j’ai douté que ce fût la réalité. Et c’est tellement facile plus tard de s’en convaincre, de penser : « Ah, mais c’est ancien ! », de se dire que nos présents sont bien sûr très différents, que l’unique est là, à nos pieds, que le passé est passé avec un point de compassion, et que ce qu’aujourd’hui nous sommes nous fait plus important. Certes, certes, nous tenons pour l’instant le haut du pavé, mais pour combien de temps ?

Il suffit juste d’attendre le prochain photographe.

Il viendra, bien sûr, et peut-être nous ressuscitera. Alors, comme tant d’autres, nous deviendrons image, nous intégrerons les tiroirs et les tables de nuit, et un jour sans doute, on ouvrira l’album : « Regarde comme ils sont drôles, ces clichés d’antan ! »

Je me demande ce que je fais là.

Est-ce vraiment ce que nous fûmes ? De légères parcelles de vie, couchées sur du papier.  

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules, des mondes d’antan. Épilogue
[Rabat, 2016]

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