Les succès de Bell avaient suscité des rancœurs et peut-être certaines jalousies. Ce n’était pas le cas de Marlowe qui souhaitait, selon ses termes, « révolutionner l’usage du téléphone ». Il était parti du constat assez banal que les animaux disposaient de sens bien plus développés que les nôtres et qu’ils pouvaient ainsi échanger à distance.
Il avait imaginé l’appareil ci-dessus, un mélange bizarre de techniques et de chihuahua.
C’est en composant le premier numéro qu’il eut sa première surprise : on lui répondit par un grognement distant, puis on raccrocha. Ce bref succès l’enthousiasma, il sentait déjà les odeurs puissantes de la victoire.
Il composa un deuxième numéro, cette fois-ci longue distance, et attendit plein d’espoirs. La tonalité mit un certain temps à s’établir, mais au bout de quelques secondes il entendit très distinctement les tût-tût de la connexion lointaine.
On finit par décrocher.
Sa deuxième surprise fut un ouah-ouah interrogatif qu’il interpréta sans aucun doute possible comme provenant d’un saint-bernard. Ne sachant trop comment répondre et toujours sous le coup de son étonnement, il eut cette phrase qui ne restera pas dans les mémoires : « Y’a quelqu’un ? »
Il reçut en retour une série d’aboiements mécontents, peu difficiles à saisir dans l’ensemble, mais absolument indéchiffrables dans le détail. On finit par raccrocher.
Le pauvre Marlowe avait bien fait une avancée spectaculaire, mais à moitié. Son appareil étrange fonctionnait parfaitement, mais sans rien connaître du langage canin, on pouvait à juste titre dire qu’il ne servait à rien.
Un peu dépité, il écrivit le soir dans son journal : « 1 : j’ai révolutionné le monde de la communication, 2 : les chiens l’avaient fait avant moi, 3 : ils n’ont absolument aucun respect pour ma découverte. »
Puis, fatigué, il se servit un bourbon en émettant un vague grognement.
Il ne remarqua pas l’œil attentif du chihuahua qui agitait sa queue en signe de réponse.