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[Chroniques minuscules] II

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Des mondes d’antan

Christophe de Beauvais

Chroniques Source gallica.bnf.fr / BnF
Avant la télévision

On croit parfois que les gens s’ennuyaient avant la télévision. C’est parfaitement inexact. Bien avant celle-ci et son grand écran, il y avait le seau d’eau.

L’invention datait du Moyen Age, où pour le coup on s’ennuyait ferme entre deux tournois. À cette époque le seau était en bois, ce qui ne changeait rien à la découverte. Avec de l’eau presque jusqu’au bord, il donne une surface plane où tout se réfléchit. On pouvait ainsi, pour un coût modique, voir le monde différemment.

Le ciel, reflété dans l’eau, lui donnait une sorte de profondeur que le coup d’œil direct était bien en mal de surpasser. Mieux encore, un léger tremblement, ou un souffle de vent, en agitant la surface transformait complétement l’image. Le ciel se troublait, donnait des tons nouveaux, des tableaux aux ridules incertaines et constamment renouvelées. C’est ce que l’on appelait les effets spéciaux, qui ont été bien galvaudés par la suite.

On se retrouvait en bande autour d’un seau, les nuages déformés étaient source d’inspiration, et que dire du seau en forêt, du seau en montagne, du seau à la plage ! Chaque groupe avait son lieu, chaque village avait son récipient. On ne le plaçait pas n’importe où, et les bonnes places étaient âprement disputées. C’est peu dire que les seaux rassemblaient !

À l’époque certains mystiques affirmaient déjà que « le monde n’est que reflet », ou plus étrangement que « seul le seau détient la vérité ».

Ces paroles sont aujourd’hui oubliées, les seaux ont progressivement disparu, on se regroupe maintenant autour d’un écran. D’aucuns disent que le principe est le même, « que la télévision et le seau ne font qu’un, qu’ils ne diffèrent que par l’inclinaison».

Je ne sais.

Mais je me dis parfois, en contemplant l’écran noir et en tentant de m’y voir, que le spectacle des seaux avait plus de tenue.

Christophe de Beauvais, Chroniques minuscules II, des mondes d’antan. Avant la télévision
[Rabat, 2017]

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