La dissimulation du ventre par inspiration était une technique encore peu utilisée par nos aïeux.

Aujourd’hui on est plus radical, ce n’est plus le ventre que l’on cherche à faire disparaître, c’est le gros.

Et pourtant, quelle erreur ! La bedaine est plaisante passé la quarantaine, elle ne fait pas que signer le plaisir de la chair, mais aussi le bon vivant. Elle est la marque qui ne trompe pas et qui claironne à tout va : « Celui-là a compris les délices de la table ! »

Il y a peu, le gros était le riche, le nanti, celui qui a réussi, et qu’on opposait volontiers au chétif, au malingre, à la maigreur forcément maladive des classes laborieuses. Et puis ces dernières commencèrent à prendre du poids, et tentèrent de rattraper par le ventre le modèle d’en haut. Mal leur en prit ! L’ordre tomba du ciel : « Puisque le peuple veut nous ressembler, inversez les valeurs ! »

Depuis, la maigreur a un prix, et la grosseur est en solde.

Le vieux maigre est chic et bien portant, le vieux gros est pauvre et déconsidéré. On moque aujourd’hui ce que l’on louait hier. C’est comme ça, les modes sont comme la pluie, elles tombent toujours de haut en bas.

Alors, quand je vois mon grand-oncle faire disparaître sa bedaine par une forte inspiration, je me dis qu’il était bien en avance sur son temps.

Son camarade de bain, à côté, ne put s’empêcher de lui faire remarquer : « Dis-donc, Jules, pourquoi t’es si crispé ? » « T’inquiète, John, je pose pour le futur. »

La dissimulation du ventre commençait à s’imposer, elle marquait la fin d’une époque et du cassoulet de ma grand-mère. Sa tarte à la crème finirait aussi par le rejoindre, chichement remplacée par une salade d’endives.

Par un curieux retournement, on déguste aujourd’hui dans les quartiers chic ces légumes autrefois cantonnés aux zones prolétaires. Les courges, les navets, les topinambours, les choux, les brocolis sont devenus des mets de choix. Le gras sous toutes ses formes a fait quant à lui le chemin inverse, il inonde de nos jours les quartiers populaires.

La balance s’est inversée, mais on reconnaît toujours celui qui a du poids.

Comme disait Marlowe, qui était doué en physique : « Le poids, ce n’est pas que de la masse, c’est aussi de la pesanteur. »